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Philosophiques
5 août 2019

qu'est-ce que l'homme ? (Éric Deschavanne, Pierre-Henri Tavoillot)

L'homme au bérêt noir, de Corneille de Lyon, XVIe
L'homme au bérêt noir, Corneille de Lyon, XVIe siècle (source)

 

 

qu'est-ce que l'homme ?

Éric Deschavanne, Pierre-Henri Tavoillot

 

Rousseau

Son constat de départ est désabusé : la finitude humaine n’est plus indexée à l’ordre immanent du cosmos ou au règne transcendant du divin, qui, chacun à leur manière, pouvaient lui apporter, au final, une forme d consolation. De même lui paraît insuffisante la solution épicurienne selon laquelle l’unique issue de ce destin éphémère réside dans l’acceptation lucide de sa vanité. Pour Rousseau, ni l’espoir ni le désespoir d’un monde meilleur ne parviennent à régler le tragique de l’existence humaine. D’où le défi que doit relever à ses yeux la philosophie humaniste : comment bien remplir et guider cette vie si brève et si vaine quand, en guise de consolation, le passé se perd, la nature se tait et le ciel se vide ; bref, quand il n’y a plus que l’homme pour consoler l’homme ?

Avant d’examiner la réponse de Rousseau à cette redoutable question, il faut au préalable identifier dans quelle mesure elle est emblématique de la modernité. Dans le contexte de l’humanisme moderne, la question des âges de la vie se déplace. Dès lors que l’évidence des références transcendantes vient à s’effacer, il devient nécessaire d’identifier un axe de la vie humaine qui lui soit immanent. C’est, pour ainsi dire, de l’intérieur de l’humain que l’orientation et le rythme de la trajectoire existentielle doivent être considérés, sans le secours rassurant d’un «avant» ou d’un «ailleurs». Ce qui oblige à poser à nouveaux frais la question : qu’est-ce que l’homme ?

 

qu’est-ce que l’homme ?

Avant l’humanisme, il existait en gros trois réponses disponibles.

  • La première relève de la vision traditionnelle : l’homme se définit par son appartenance à une lignée, qu’elle soit clan, tribu ou nation. Pris en ce sens, l’homme est avant tout un «fils de» ; c’est la filiation qui résume son identité.
  • La seconde définition correspond aux cosmologies antiques qui attribuent à l’homme une place définie dans l'univers, limitrophe de l’animalité et de la divinité : animal supérieur, rationnel et politique, l’homme peut aussi, dit Aristote, toucher au divin.
  • Enfin, troisième réponse possible, la définition théologique voit en l’homme essentiellement une créature de Dieu : c’est le divin qui est le tenant et l’aboutissant de l’humain.

La caractéristique commune de ces trois réponses est, on l’a dit, que l’homme doit chercher ailleurs qu’en lui-même ce qui le définit. Qu’arrive-t-il, comme c’est le cas à l’aube de la modernité, quand la tradition est controversée, quand le cosmos se brouille et que le religieux est en guerre intérieure ?

Il devient nécessaire, pour tenter de sauver l’unité d’un monde qui se perd, de dégager une définition interne de l'homme. C’est cette tentative d’identifier une «nature humaine» qui débute avec l’école du droit naturel moderne et se prolonge avec les Lumières.

Pierre Manent, dans son bel ouvrage, La cité de l’homme, a trouvé les mots justes pour décrire le mouvement : «Au commencement, le monde était informe et vide, sans lois, ni arts, ni sciences, et l’esprit de l’homme flottait au-dessus des ténèbres. Telles sont, en somme, les premières paroles que l’homme se dit à lui-même lorsque, rejetant la loi chrétienne comme la nature païenne, il décide de ne recevoir son humanité que de lui-même, qu’il entreprend d’être l’auteur de sa propre genèse».

«L’homme décide de ne recevoir son humanité que de lui-même» : à vrai dire, cette décision désigne davantage un problème qu’une solution, car, là encore, plusieurs voies sont possibles.

La première option consistera à penser que la nature de l’homme réside dans sa nature, c’est-à-dire dans son corps. C’est la pensée matérialiste, qui trouve son apogée au XVIIIe siècle, dans les ouvrages de Hume, Diderot, La Mettrie et Helvétius.

Une seconde solution consiste à identifier l’essence de l’homme dans sa liberté. L’humanité ne réside ni dans une nature spécifique ni d’ailleurs dans une culture particulière, mais dans la capacité qu’a l’homme de s’arracher aux contraintes naturelles et aux déterminations de son histoire. C’est la position de l’humanisme abstrait qu’incarnent Rousseau et Kant (1).

Philosophie des âges de la vie,
Éric Deschavanne, Pierre-Henri Tavoillot,
éd. Grasset, 2007 ; Pluriel, 2009, p. 128-131.

 

1 -  On pourrait ajouter une troisième définition possible qui apparaît à la fin du XVIIIe siècle dans la postérité romantique de Rousseau : l’essence de l’homme réside dans son individualité, c’est-à-dire dans une liberté incarnée dans une nature concrète située hic et nunc.

Philosophie des âges de la vie, couv

 

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