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Philosophiques
16 septembre 2019

explication d'un texte du "Gorgias" de Platon, par Mathias Roux (philomag.com)

9782081386716

 

explication d'un texte du Gorgias de Platon

par Mathias Roux

 

Expliquez ce texte :

SOCRATE : Celui qui garde son injustice au lieu d’en être délivré est le plus malheureux de tous.

POLOS : Cela semble certain.

SOCRATE : N’est-ce pas précisément le cas de l’homme qui, tout en commettant les crimes les plus abominables, et en vivant dans la plus parfaite injustice, réussit à éviter les avertissements, les châtiments, le paiement de sa peine, comme tu dis qu’y est parvenu cet Archélaos*, ainsi que tous les tyrans, les orateurs et les hommes d’État les plus puissants ?

POLOS : C’est vraisemblable

SOCRATE : Quand je considère le résultat auquel aboutissent les gens de cette sorte, je les comparerais volontiers à un malade qui, souffrant de mille maux très graves, parviendrait à ne point rendre de comptes aux médecins sur ses maladies et à éviter tout traitement, craignant comme un enfant l’application du fer et du feu** parce que cela fait mal. N’est-ce point ton avis ?

POLOS : Tout à fait.

SOCRATE : C’est sans doute qu’il ne saurait pas le prix de la santé et d’une bonne constitution. À en juger par les principes que nous avons reconnus vrais, ceux qui cherchent à ne pas rendre de comptes à la justice, Polos, pourraient bien être également des gens qui voient ce qu’elle comporte de douloureux mais qui sont aveugles à ce qu’elle a d’utile, et qui ne savent pas combien il est plus lamentable de vivre avec une âme malsaine, c’est-à-dire corrompue, injuste et impure, qu’avec un corps malsain. De là tous leurs efforts pour échapper à la punition, pour éviter qu’on les débarrasse du plus grand des maux.

PLATON, Gorgias (autour de 387 av. J.-C.)

* Archélaos : tyran dont Polos a affirmé qu’il est heureux puisque son pouvoir lui permet de faire tout ce qui lui plaît sans avoir de comptes à rendre à personne.

** l’application du fer et du feu : techniques médicales de soin

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.

 

1. Dégagez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie

La thèse de ce texte est originale : Socrate amène son interlocuteur à reconnaître que celui qui commet l’injustice et qui en tire des bénéfices est, en réalité, plus malheureux encore que sa victime. Ou pour le dire autrement, l’injuste est aussi victime de son injustice. Cette thèse s’accorde bien à une autre remarque de Socrate selon laquelle il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre.

Pour Socrate, échapper à la punition n’est pas une chance mais une tragédie. Pour le montrer, il fait un parallèle avec le cas de la maladie : quand on est malade, rien de mieux ne peut nous arriver que d’être guéri, même si le traitement est douloureux. Il en est de même avec l’injustice : le châtiment nous guérit de l’injustice en nous faisant connaître en quoi consiste la justice.  

 

2. a) En vous appuyant sur l’exemple d’Archélaos, expliquez pourquoi celui «qui garde son injustice au lieu d’en être délivré est le plus malheureux de tous».

L’homme injuste est avant tout un homme intempérant qui ne sait pas réguler ses désirs pour les rendre compatibles avec les règles de la justice. C’est un homme malheureux car dominé par ses pulsions et son caractère. C’est aussi un homme ignorant qui ne sait pas que les principes de la justice ne sont pas arbitraires et imposés comme une contrainte extérieure à l’homme mais qu’ils représentent les conditions de réalisation d’une harmonie à la fois sociale et individuelle. L’individu vivant selon les principes de justice ne se contente pas d’agir en conformité avec les règles et les lois pour ne pas avoir de problèmes : il donne aussi à son existence propre une mesure, une tempérance qui lui permet de maîtriser ses désirs et se rendre heureux.

L’exemple du tyran n’est pas pris par hasard : avant de tyranniser les autres, il est tyrannisé par ses propres désirs. Voulant tout, tout le temps, tout de suite, il n’est jamais satisfait et semble le jouet de ses pulsions.

        b) Expliquez en quoi l’homme injuste est semblable à un malade.

L’homme injuste est semblable à un malade si l’on se représente la maladie comme un état de déséquilibre du corps. Lorsqu’on est malade, certaines fonctions corporelles ne s’accomplissent plus aussi bien et éveillent la douleur. La bonne santé, au contraire, s’apparente au fonctionnement harmonieux de toutes les parties du corps entre elles.

Mais, surtout, comme le suggère le texte, le malade comme l’homme injuste ont tendance à essayer de fuir ce qui est bon pour eux. En effet, le malade redoute souvent la douleur liée au traitement : par ignorance, il ne perçoit le traitement qu’à court terme, c’est-à-dire avant tout comme une douleur, il est incapable d’envisager la guérison à moyen terme. Comme quelqu’un qui refuserait la piqure d’antidote contre la morsure mortelle du serpent sous prétexte qu’il a peur de l’aiguille !

 

3. Celui qui vit dans l'injustice et qui cherche à échapper à la punition est-il le plus malheureux des hommes ?

Sur cette question, les avis peuvent apparaître partagés. Nous avons tous en tête l’image du gangster en cavale, brûlant la vie par les deux bouts, dépensant son argent, vivant pour le risque, l’adrénaline et l’argent facile. Les mythes de Scarface ou de Mesrine fascinent encore et toujours, comme on s’en aperçoit avec le succès des films qui leur sont consacrés. Il semble que, si leur vie est en partie difficile car faite de peur et de fuite, ils ne sont pas, pour autant, les plus malheureux des hommes.

De plus, si cela était le cas, il irait aussi de soi, à l’inverse, que les hommes qui respectent bien toutes les règles et tous les principes sont de loin les plus heureux. Or ce n’est pas avéré non plus. On peut, malheureusement, être un parfait honnête homme et frappé par le malheur, tant l’expérience prouve que la vie ne récompense pas, hélas, nécessairement les plus méritants et les plus justes.

Pourtant, et telle est la conviction de Socrate, la justice est un bien qui, quand on le possède, permet d’affronter davantage les difficultés de l’existence. En effet, être fier de soi et de son comportement, mettre en harmonie ses principes et son action procurent un contentement réel. À l’inverse, le bandit sait que ce qu’il possède n’est pas solide et peut lui être retiré à tout moment : il peut tout perdre, il vit dans la peur de la sanction et cet état n’est pas compensé par la certitude de sa droiture. Ses biens ne sont donc pas durables, contrairement à l’homme qui vit selon les principes de la justice. C’est la raison pour laquelle il est possible d’affirmer que son bonheur n’est qu’apparent et qu’il est à plaindre car il est ignorant de sa véritable situation. Il est, pour cette raison, le plus malheureux des hommes. 

par Mathias Roux

Normalien et agrégé de philosophie, Mathias Roux enseigne au lycée Victor-Louis, à Talence (Gironde). Il s’est intéressé à des sujets aussi divers que le sport (Socrate en crampons. Une introduction sportive à la philosophie, Flammarion, 2010) et la politique (J’ai demandé un rapport. La politique est-elle une affaire d’experts ? Flammarion, 2011). Il vient de publier S’estimer soi-même avec Descartes (Eyrolles, 2016).

Mathias Roux

source : philomag.com

 

 

 

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