Platon, 427-347 av.
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- Platon et ses dialogues, par Bernard Suzanne
- le texte du Gorgias, de Platon, avec une notice d'Émile Chambry (1864-1938)
Platon est le disciple de Socrate (469-399). Socrate n'a jamais rien écrit, seul Platon (427-347) a rédigé des ouvrages. Platon est le fondateur de la philosophie occidentale.
Socrate buvant la ciguë : La mort de Socrate, Jacques-Louis David, 1787
Socrate : il vaut mieux subir l'injustice que la commettre
- Socrate, "il vaut mieux subir l'injustice que la commettre".
Socrate, philosophe et condamné à mort
Socrate et Criton
Toute l'œuvre de Platon est un hommage à Socrate : celui-ci conduit l'interrogation dans la plupart des dialogues. Or il n'a rien écrit et les témoignages des Anciens sur sa personne sont difficiles à accorder. Pour ses contemporains déjà il était une énigme vivante, le plus étrange, le plus déconcertant des hommes. Aristophane, dans les Nuées, le présente aussi malin que les pires sophistes [maîtres de l'art du discours, la rhétorique], mais perdu dans de nébuleuses spéculations astronomiques et météorologiques, comme les "physiciens" ses prédécesseurs.
Platon, qui avait quatre à cinq ans lors de cette comédie, la taxera de calomnie dans l'Apologie : loin de chercher à percer les secrets du ciel, Socrate, inspiré par le précepte delphique, "Connais-toi toi-même", s'est attaché à une sagesse toute humaine. (…)
Socrate, film de Rossellini, 1970
Signe de contradictions, Socrate a suscité les passions les plus violentes : l'amour impur d'Alcibiade, comme la ferveur du pur "philo-sophe", amant de la seule Sagesse, mais aussi la haine de ceux qui l'ont condamné à boire la ciguë.
l'ironie socratique
Par ses enquêtes perpétuelles, il s'était rendu insupportable à beaucoup. Désigné par l'oracle de Delphes comme le plus sage ou le plus savant des hommes (le grec sophos unit les deux acceptions), il voulut mettre à l'épreuve le savoir des autres, en découvrit les faux-semblants, et que lui seul savait qu'il ne savait rien.
Ainsi cheminant par les ruelles d'Athènes, il arrêtait le premier venu et l'interrogeait sur ce qui devait être de sa compétence : l'artisan sur sa technique, le poète sur son inspiration, deux généraux sur leur courage, un devin, c'est-à-dire un spécialiste de ce qui plaît aux dieux, sur la piété. Insensiblement conduit par des questions insidieuses, l'interlocuteur est bientôt pris aux rets de ses propres affirmations et commence par se débattre.
Cette interrogation qui se retourne contre toute réponse (tel est le sens étymologique de l'ironie socratique) le paralyse, comme le fait le poisson-torpille pour qui le touche. Souvent il s'irrite, d'autant plus que les assistants se rient de son embarras tant que leur tour n'est pas venu.
Socrate, film de Rossellini, 1970
L'insolence de Socrate, se jouant avec prédilection des gens installés dans leur bonne conscience et leur mauvais foi, attachait à ses pas quantité de jeunes sans doute pressés de mettre ensuite leurs proches à l'épreuve, "n'épargnant ni père ni mère", dira Platon, et tiraillant les arguments en tous sens comme de jeunes chiens.
c'est la réaction démocratique qui condamne Socrate
Corruption de la jeunesse, énonce l'acte d'accusation. En outre le cercle socratique avait compté parmi ses familiers, non seulement le scandaleux Alcibiade, mais Charmide et Critias, du parti des Trente tyrans ayant régné quelques mois par la terreur, au moment où Athènes était vaincue par Sparte : le procès de Socrate eut lieu dans les années de violente réaction démocratique qui suivent leur chute.
Socrate, qui avait tenu tête à la stupide fureur populaire, lors de l'injuste condamnation des généraux vainqueurs des Arginuses, ne cachait pas ses sympathies pour la constitution lacédémonienne [Sparte]. Et son entourage pratiquait, assez largement semble-t-il, ces mœurs favorisées par l'éducation spartiate, et que Platon dira "contre-nature" (Phèdre, Lois). Aussi, mettra-t-il dans la bouche d'Alcibiade lui-même, avouant sa frustration, le plus net éloge de la chasteté de Socrate (Banquet).
Il expliquera aussi comment un jeune homme bien né [Alcibiade], mais ambitieux, qui a goûté au miel de la flatterie démagogique, se laisse mener par "la démesure, l'anarchie, la prodigalité, l'impudence" (République), même si en sa versatilité il se frotte parfois à la philosophie : par ce portrait allusif d'Alcibiade comme le type même du démocrate corrompu, Platon se retourne contre le mouvement populaire qui a coûté la vie à Socrate.
Sa propre origine aristocratique l'orientait dès sa jeunesse vers une vie active dans la cité, mais il en fut détourné par les excès de ses proches dans la tyrannie, qu'il considérera toujours comme le pire régime, puis par les aberrations de a démocratie, qui ne vaut guère mieux.
Cet affrontement de l'individu à la cité découvre à Platon la nécessité de transformer d'abord celle-ci par une législation confiée aux penseurs,qui assureront ainsi l'éducation de chacun : ainsi le procès de Socrate contribua-t-il à préciser la vocation du philosophe réformateur.
Socrate, film de Rossellini, 1970
Mais, si aveugle fût-elle, la condamnation de Socrate était une réaction de défense de l'Athènes traditionaliste contre la passion de la discussion qui remettait en cause les valeurs de la cité : les croyances religieuses en étaient le ciment social.
Accusé de rejeter les dieux d'Athènes, et d'en introduire de nouveaux, Socrate y avait prêté par sa liberté d'esprit devant les justifications officielles de la piété, comme par son obéissance à une voix intérieure, "démon" personnel qui ne se manifestait que pour interdire ; et l'on pouvait taxer d'ironique la façon dont il retournait l'oracle proclamant sa sagesse supérieure, en la définissant comme simple conscience d'une totale ignorance.
Platon, Geneviève Rodis-Lewis, Seghers, 1965, p. 7-10
Socrate, film de Rossellini, 1970
Âme, Cité, cosmos
En fait, se manifeste, dans la théorie de Platon, une conception qui domine l'ensemble de la pensée antique. Elle considère l'ordre du monde, l'organisation de la Cité et l'agencement de l'Âme comme devant posséder naturellement une analogie ou une homologie des structures. Plus précisément, le cosmos, le "bien arrangé", fournit une sorte de plan et de dynamisme régulateurs indiquant comment se peuvent ordonner, selon leur vertu, l'univers politique et le monde individuel.
C'est à l'intérieur de ce cadre que se pose le problème de la conduite : se conduire, c'est agir en un certain sens au sein du cosmos – dans le bon ou dans le mauvais sens--, se comporter politiquement pour ou contre l'essence de la Cité et assurer, en son âme, la prééminence à tel ou tel principe ; c'est donc, aux trois niveaux, tenter de faire dominer un ordre dont l'arrangement de la nature nous indique qu'il est l'ordre.
On voit clairement, dès lors, qu'il ne saurait y avoir, pour Platon, de distinction – cette distinction si opérante dans la pensée contemporaine – entre question politique et question morale. Ainsi que l'ont montré les analyses de La République, le sort de ce que nous appelons, nous, "sujet" est inséparable de celui du citoyen : la Cité corrompu pervertit les meilleurs naturels – c'est ce que rend évident le Livre V – de même que les âmes décadentes – comme le prouve le Livre VIII – déterminent le déclin politiques.
Salut individuel et solution aux problèmes de la collectivité s'édifient conjointement. C'est pourquoi une présentation approfondie de la théorie platonicienne de l'homme exigerait qu'à propos de chaque problème on évoque à la fois aspect moral, aspect politique et aspect cosmique. (…)
À la vérité, la problématique platonicienne de la conduite suppose un donné, ce triple donné que nous venons d'évoquer. Ce à quoi la Raison va donc pouvoir s'employer, c'est, ayant reconnu l'ordonnance des Essences, à fixer la stratégie convenable, une stratégie qui assure finalement, autant qu'il est possible, son triomphe. Et nous, nous avons à comprendre ce qu'il en est de l'Âme, de la Cité, du cosmos et quelles stratégies, différentes et liées, correspondent à chacun de ces domaines.
François Châtelet, Platon, Idées-Nrf, 1967, p. 194-196 ; rééd. Folio, 1989.
l'Âme des humains est triple
Nous devons supposer l'âme immortelle : le Phèdre et le Phédon ont établi que l'hypothèse selon laquelle le principe de vie ne meurt pas est la seule qui soit finalement acceptable. Elle confirme un enseignement très ancien et se trouve être dialectiquement la plus sérieuse. La possibilité même de la connaissance présuppose cette survie à travers tous les temps.
Nous n'avons sans doute pas suffisamment insisté sur ce point : ainsi que le prouve le texte célèbre du Ménon dans lequel Socrate permet à un adolescent inculte de développer un raisonnement correct concernant un problème mathématique difficile, il faut bien que celui-là qui cherche ait une sorte de prescience de ce qu'il avait à chercher et à trouver. Connaître n'est jamais que re-connaître.
Utilisant l'argument qui demeurera toujours valable contre ceux qui prétendent que toute connaissance vient de l'expérience, il souligne le fait que, dans l'expérience, on ne peut jamais en découvrir qu'on ne l'y ait déjà mis, qu'aucune généralisation à partir des faits donnés n'est capable de fournir le fait essentiel même qui permet de généraliser et que le terme abstrait, générateur de savoir universel; ne peut être construit que s'il a en germe un abstrait préalable, enfoui et redécouvert…
La théorie moderne de la connaissance a construit bien des variations – positives et négatives – autour de ce thème : Platon est plus direct et, comme nous l'avons déjà signalé, postule comme condition d'instauration de tout savoir universellement communicable, l'idée que l'Âme, préalablement à sa manifestation empirique au sein du monde phénoménal, est déjà en connivence avec le logos, avec la Raison, qu'elle a vécu, qu'elle vivra encore dans la communauté des Essences. Principe de vie qui contredit, comme tel, à la mort, l'Âme, principe de connaissance, répugne à cette variabilité incertaine qui est le propre des réalités soumises à la contingence de la dégénérescence temporelle.
Cependant, l'Âme, élément d'animation, reste ce dynamisme que nous éprouvons ici-bas et qui permet à la fois d'éprouver notre statut passionnel et d'aller au-delà : elle est enfoncée dans ce "tombeau" que sont les corps et la sollicitation sensible. Pour nous conduire effectivement, il faut que nous sachions comment faire avec ce désordre relatif qu'est la participation avec l'univers phénoménal, avec l'indéfini matériel. La question de la conduite est là – que le philosophe ne peut, en aucune manière, éluder.
À la complexité du statut de l'Âme, l'image proposée par Phèdre nous habitue. supposez un char à deux chevaux ; les chevaux sont impétueux ; l'un d'eux se veut rétif et préfère, comme systématiquement, le désir capricieux qui le traverse ; il s'abandonne à sa fantaisie et risque, à tout instant de faire verser l'attelage ; l'autre est tout aussi courageux et actif, mais lui, veut le bien, quoiqu'il ne sache pas, le plus souvent, comment le réaliser ; il va de l'avant, soucieux de maintenir l'unité et le projet de l'équipage. Il y a aussi le cocher : il sait – il doit savoir – où l'on va ; sa fonction est modératrice ; il a à mater le premier coursier, à diriger le second ; il a à imposer sa direction, quelque difficulté douloureuse qu'il en résulte. L'Âme réussie est celle qui reconnaît la prééminence du cocher.
La République présente, d'une manière plus didactique, le même schéma : l'analyse du donné empirique des comportements, des formes individuelles, montre que l'âme des humains est triple. Il y a une partie de cette âme, enfoncée étroitement dans le corps, qui est de l'ordre des pulsions et des besoins ; l'âme désirante, qui trouve son lieu corporel dans le ventre, cette "fonction en vertu de laquelle elle aime, a faim, a soif, éprouve des transports relativement à ses autres désirs" (La République, 439 d, éd. GF, p. 192).
À elle, s'oppose l'âme raisonnante, qui se situe dans la tête,qui s'est quasiment dégagée du domaine corporel, qui constitue la partie divine de l'homme, qu'on peut appeler, parce qu'elle est, par nature, en rapport avec l'intelligible, "l'œil de l'âme". Son rôle, quotidiennement, est de calculer, de prévoir, de mettre en question les caprices du désir ; sa tâche finale, nous l'avons vu abondamment, est de contempler les Essences.
Cependant, l'expérience conduit à admettre l'existence d'une fonction médiatrice : "Ne nous apercevons-nous pas, en maintes occasions, qu'un homme, poussé par la violence de ses désirs à agir contre la raison qui calcule, s'injurie lui-même et s'emporte contre ce qu'il y a en lui-même, dont il subit la violence ; et que, comme s'il s'agissait d'une lutte entre deux partis, la raison trouve un allié dans l'ardeur de sentiments qu'anime un tel homme" (La République, 440 ab, éd. GF, p. 193).
Entre la pulsion et la raison, entre l'âme subjuguée par le corps et l'Âme éprise des Idées, il y a le courage, le cœur, qui ne sait pas, mais qui veut et pressent confusément l'ordre du Bien.
Bref, au manichéisme simple que supposaient les doctrines religieuses, Platon substitue une analyse plus nuancée : nous verrons ultérieurement la confirmation cosmique et politique que le fondateur de la philosophie occidentale donne à cette conception "psychologique". Il reste que celle-ci – comme telle – implique une certaine stratégie morale… Laissé à lui-même, à supposer qu'il puisse en être ainsi (et, de toute évidence, Platon évoque cette éventualité), l'homme individuel a affaire à cette triplicité, il a à s'y reconnaître. La multiplicité admise pose des différences de fait, mais elle exige un ordre…
Cet ordre, toute la "morale" platonicienne le définit. L'image du Phèdre, la description de La République indiquent clairement que ce à quoi doit tendre l'individu, c'est à réaliser en-soi la bonne hiérarchie, à assurer le pouvoir du cocher, à faire que le désir se soumette au courage et celui-ci à la raison.
Il s'agit toujours de "libérer" la partie divine de l'âme : cette remontée purificatrice peut s'accomplir selon deux techniques : ou bien, par l'exercice intellectuel, la partie calculatrice se rend plus ferme et accroît son pouvoir en mettant, à leur niveau, les instances seconde et troisième, en réalisant pratiquement l'autorité que lui confère sa dignité ontologique ; ou bien jouant le jeu de "l'amour", elle s'active à mobiliser l'énergie du "bon cheval", celui que son impétueuse vertu dirige vers le Bien
François Châtelet, Platon, Idées-Nrf, 1967, p. 196-199
- sur la représentation de l'âme chez Platon : lire ici
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